Dominique GEORGET-TESSIER, août 2014
Je suis confrontée dans mon cabinet au problème de l’anxiété et de la dépression, état qui s’étend du simple mal de vivre à la pathologie sévère dans laquelle le risque suicidaire est toujours à prendre en compte.
Si le traitement de la dépression grave appartient au psychiatre, et en particulier celui de la dépression endogène lié à un déséquilibre chimique des neuromédiateurs, celui de la dépression modérée, de la dépression liée à un épuisement (burn-out), de la dépression réactionnelle, de la dépression liée à la maladie chronique telle que le cancer ou les pathologies douloureuses chroniques de même que la prévention des rechutes dépressives répondent à d’autres approches, dont fait partie la médecine traditionnelle chinoise qui comprend, à côté de l’acupuncture, les massages, la diététique, la phytothérapie, le TAIJI CHUAN , le QI GONG et la méditation. Dans les médecines traditionnelles, en particulier la médecine traditionnelle chinoise, une place très importante est donnée, à l’hygiène de vie au sens large (physique, mentale -c’est à dire émotionnelle- et environnementale). Le médecin a un rôle éducatif et psychoéducatif : il s’agit de sensibiliser le patient sur un mode de vie à adopter, pour entretenir et préserver sa santé.
Il faut commencer par souligner que la médecine traditionnelle chinoise est fondée sur une vision originale du monde, de la vie et de l’homme issue du taoïsme mais également du bouddhisme et du confucianisme, ces trois sagesses chinoises. A côté d’une thérapeutique, elle nous offre une grille de lecture originale du corps humain, dont les symptômes sont le langage : le corps est considéré comme une globalité en transformation permanente, reliée à tout ce qui est vivant, au Ciel et à la Terre, en interaction mutuelle avec l’univers. D’autres modèles de la médecine et de la maladie existent. La biomédecine en fait partie1
ACUPUNCTURE
Le corps humain est composé de « Trois Trésors » (qui correspondent d’une lointaine façon à notre ternaire : Corps, Ame, Esprit), Jing, l’essence ou le principe vital, correspond à la fois à l’identité profonde de l’individu lié à son hérédité et à sa construction permanente, Qi, correspond à ce qui anime le vivant (dont les pratiquants de TAIJI CHUAN et de QI GONG font l’expérience). Le Qi, le souffle (l’idéogramme désigne la vapeur qui sort du grain de riz qui chauffe) est la force de vie qui parcourt le vivant, les rigoles de la terre et les méridiens d’acupuncture. Il s’agit d’harmoniser la circulation du Qi à l’intérieur de l’homme et celui-ci avec le Qi de l’univers à ce moment précis. Ainsi, la poncture d’un point s’adresse à la fois au plan psychique et au plan corporel.
Shen, c’est l’esprit, le principe vital supérieur, « la dimension d’esprit » dit le philosophe François JULLIEN. « En acupuncture, toute méthode doit d’abord se fonder sur l’esprit, Shen » dit le LING SHU 2 au chapitre 8.
De plus, le Shen de l’acupuncteur, son attitude et son état d’esprit sont importants, sa disponibilité, sa qualité de présence vont permettre « un espace vacant, un moment de silence, pour que dans le vide médian, les qi, les souffles puissent circuler et surgir » écrit Jean-Marc KESPI3.
Il est dit dans les traités de médecine traditionnelle chinoise que la qualité de présence de l’acupuncteur est essentielle : il s’agit pour l’acupuncteur de cultiver la bienveillance, que les chinois appellent « vertu d’humanité ». L’acupuncteur qui soigne se situe au niveau du « vide médian », cet espace « vide » (comme le moyeu de la roue), qui est la condition du geste juste de l’acupuncteur (son geste est alors semblable au pratiquant d’art martial). C’est l’espace vide entre le médecin et le patient qui permet à la fois de mieux percevoir ce qui est noué chez le malade et l’installation de la relation thérapeutique. L’acupuncteur est, tel le boucher de Zhuangzi qui sait « enfoncer le tranchant dans les interstices de la chair » et « manie son couteau avec aisance parce qu’il opère à travers des endroits vides ».
Il s’agit de cultiver une présence authentique et spontanée (ziran, naturelle) laissant le souffle, l’espace entre le patient et le malade.
Dans la tradition orientale, c’est le vide, l’interstice, l’intervalle qui sont sources de circulation, de vitalité et d’ordre. Cette qualité, Ziran, est « ce qui reste quand tout est démoli ». De cette spontanéité retrouvée, le patient va trouver les forces nécessaires pour changer et retrouver un nouvel ordre : la médecine traditionnelle chinoise part du principe que l’organisme du patient détient les informations et que le médecin est avant tout un médiateur.
L’acupuncture aborde la vie dans sa dynamique « la vie des êtres, c’est la transformation, c’est le changement. L’effet des changements se manifeste au ciel comme un Mystère (xuan), parmi les hommes, comme une voie (dao) sur terre, comme les transformations (hua).
La maladie, la dépression vont intervenir comme une fracture qui peut amener la personne à reconsidérer sa trajectoire de vie. (Pour la médecine traditionnelle chinoise, les principaux organes du corps humains ont chacun deux fonctions, qui sont indissociables, biologiques et psychologiques. A ces 5 organes constitutifs de l’être humain sont associés 5 émotions.)
Le cœur est l’organe de la joie ; Le poumon, le logis de la tristesse, du deuil, de l’affliction ; la tristesse affecte l’énergie des poumons et peut entrainer signes respiratoires (toux, oppression). Le foie est l’organe de la colère, qui est une émotion comprise comme frustration, contrariété, irritabilité, amertume. S’il y a colère, le foie ne joue plus son rôle d’assurer la fluidité de la circulation de l’énergie vitale dans le corps. « La colère blesse le foie ».
Ce qui la distingue avant tout de la biomédecine moderne, c’est qu’elle considère que l’état normal de l’homme est la santé, liée à une harmonie de l’homme dans sa globalité (Jing, Qi, Shen), avec l’univers (l’intelligence du vivant), l’environnement et son entourage. Ceci implique un retournement du regard, vers l’intériorité de l’être et ses possibles, confiant dans la force du vivant.
Cette médecine nous apprend à : regarder la santé, la vie qui œuvre à travers le corps, et se détourner -au moins un instant- de la maladie. La santé, c’est ziran, c’est naturel, c’est être en conformité avec sa propre nature par son mode de vie. Pour accéder à sa nature essentielle, il convient de laisser son naturel advenir : être à l’écoute de soi, de ce qui, en soi, ne demande qu’à émerger à chaque instant et cesser de l’empêcher de surgir en imposant sa volonté propre. Il s’agit de laisser faire, wuwei, « non-agir », non agir contre le cours naturel des choses au lieu de percevoir ce qui aspire à jaillir à l’instant.
Nous rejoignons là ce qui est enseigné dans les pratiques de méditations.
L’acupuncture considère que toute douleur physique ou psychique a pour origine une obstruction de la circulation du Qi dans un lieu du corps d’origine traumatique, toxique, émotionnelle. Elle permet de s’adresser aux lieux du corps où des souffrances ont été mémorisées et de faire circuler ces « stagnations de Qi ».
Nous invitons le patient à s’engager quant à son état d’être et sa santé : dans l’interrogatoire, le médecin traditionnel chinois demande au patient s’il a une spiritualité, s’il a un but dans la vie, quelle est la qualité de son entourage, personnel, familial, conjugal environnemental, s’il a des stress dans sa vie. Cet interrogatoire vise à recadrer la plainte du malade dans un plan plus vaste, celui de la globalité de sa vie, corps, esprit, relations.
Tant qu’il est convaincu de l’existence de ses symptômes, il est prisonnier d’une réalité où « être malade » est la donnée essentielle. La méditation a une place extrêmement importante car elle mène l’esprit dans une « zone libre » qui n’est pas touchée par la maladie. Jusqu’à ce qu’on comprenne qu’un tel endroit existe, la maladie semble entièrement prendre le dessus.
La prévention des rechutes dépressives (40% des patients ayant fait un premier épisode dépressif rechuteront) est un problème de santé publique dans lequel l’acupuncture, la méditation, le yoga et le QI GONG ont toute leur place.
L’acupuncture a une vocation préventive et curative : nous recommandons aux malades déjà traités pour une dépression de prévenir les rechutes, 2 fois par an ou à chaque changement de saison. En complément du traitement, nous les engageons à la pratique du QI GONG (ou du yoga) et de la méditation, et au minimum à la pratique d’une activité physique. Les références bibliographiques montrent l’efficacité de l’acupuncture dans les dépressions légères à modérées et l’anxiété4
Madame B. vient me voir pour un état anxio-dépressif dans le cadre d’une récidive d’un mélanome cutané. Les premières séances d’acupuncture vont lui permettre de gérer le stress majeur lié à la nouvelle. De plus, pendant toute la durée de son traitement, l’acupuncture va, à la fois, lui permettre de mieux supporter la radiothérapie, la chimiothérapie, mais également éviter une rechute dépressive (cette patiente ayant fait une dépression grave à la suite de problèmes professionnels il y a 15 ans).
QI GONG
La culture chinoise traditionnelle n’a cessé de privilégier l’harmonie et l’équilibre. La plus grande attention a toujours été portée à la préservation et à l’entretien de la vie « Yang Sheng »
La première mention du QI GONG, se trouve dans le NEI KING SU WEN, traité de médecine dont est également extrait le LING SHU. La découverte de cet art est vraisemblablement liée aux moines taoïstes, qui pratiquaient la méditation. La pratique de ces exercices, en renforçant leur santé physique, leur permettait de progresser dans la voie spirituelle. Les exercices se sont modifiés ensuite : on a des QI GONG bouddhistes, taoïstes, régionaux, familiaux.
QI GONG signifie « le travail de l’énergie » et également « la mise en mouvement des souffles ». Il désigne un ensemble de pratiques énergétiques variées issues de la culture traditionnelle chinoise visant à l’harmonie entre le corps et l’esprit. Ce « travail » consiste à capter l’énergie de l’univers afin de nourrir notre corps et de la faire circuler dans notre organisme pour renforcer notre sante.
Les exercices associent mouvements, postures corporelles ou émission de sons, respiration et visualisation. Une importance particulière est donnée à la conscience corporelle, ici et maintenant.
La pratique du QI GONG permet d’optimiser toutes les fonctions de l’organisme, en constituant une auto acupuncture. Elle permet de trouver la détente et le calme intérieur, nécessaire à un bon équilibre psychique ; En Chine, des centres spécialisés permettent aux patients de pratiquer 5 ou 6 heures par jour durant des séjours de 15 jours. Dans le domaine de la dépression, le QI GONG mobilise les ressources énergétiques, supprime l’anxiété, permet de mieux gérer les émotions et les sentiments et augmente la combativité.
M. est suivie par un psychiatre pour une dépression suite à un harcèlement professionnel, survenu de manière insidieuse depuis deux ans. Elle vient me voir toutes les trois semaines pour des séances d’acupuncture. Nous évitons une aggravation, mais il n’y a pas d’amélioration nette. Je lui suggère de venir se joindre à notre groupe : dès les premières séances, elle constate un mieux-être, elle respire dit-elle, elle se sent respirer. Elle se met à une pratique quotidienne, qui dit-elle « lui change la vie » et lui permet de traverser une autre année de galère, d’arrêter le suivi psychiatrique et les anti-dépresseurs.
MEDITATION
La méditation fait partie des méthodes enseignées en Orient depuis des millénaires : on retrouve des fresques datant de 5000 ans montrant des personnages pratiquant la méditation. Elle s’inscrit dans un but à la fois préventif ainsi que curatif, associé alors aux massages, à la prescription de phytothérapie et en médecine traditionnelle chinoise, à la parole…
Son approche est maintenant bien spécifiée dans le monde occidental grâce aux travaux de John KABATT ZINN, John TEASDALE et Zindel SEGAL et connue sous le nom de MBCT (Mindfulness-Based Cognitive Therapy, thérapie basée sur la pleine conscience pour la prévention des rechutes dépressives).
En Europe, cette technique se développe grâce à l’A.D.M (Association pour le Développement de la Mindfulness) ainsi qu’aux travaux de Christophe ANDRE, psychiatre à l’hôpital SAINTE-ANNE et auteur de nombreux livres sur la méditation. Elle est de plus en plus utilisée par les médecins comportementalistes, en psychiatrie mais aussi en cancérologie et dans les services de prise en charge de la douleur.
Plus de 5000 médecins et d’innombrables professionnels du soin de par le monde s’y réfèrent dans leur travail quotidien.
La MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction) s’appuie sur un enseignement bouddhiste millénaire connu sous le nom de Mindfulness, pratique de la Pleine Conscience. Il s’agit, d’un exercice que l’on cultive en prêtant une attention particulière à l’instant présent, en goûtant la saveur unique de l‘instant présent. Il s’agit d’apprendre à être ici et maintenant, « dans le but de vivre sa vie comme si elle importait vraiment » (John KABATT ZINN)
Le programme MBSR tel qu’il a été codifié par John KABATT ZINN et repris par l’A.D.M. en Europe consiste à guider les participants à progresser dans l’apprentissage de leur propre expérience méditative. C’est celui qui est utilisé dans les hôpitaux. Il comprend 8 sessions de deux heures trente réparties sur huit semaines, animées par un enseignant A.D.M., réunissant une vingtaine de participants.
Au cours de ce programme, les participants s’engagent à participer à toutes les séances, à effectuer les pratiques quotidiennes recommandées et enfin, de participer à la journée de pleine conscience prévue en cours de programme. Chaque session MBSR comprend des pratiques méditatives permettant de prendre conscience du fonctionnement en pilotage automatique, des ruminations mentales, des émotions en relation avec les sensations corporelles, des habitudes et des encodages comportementaux de la vie quotidienne. Un temps significatif est dédié aux commentaires des participants qui partagent leur expérience, soutenus par l’enseignant dans l’exploration de celle-ci. Chacun pourra ainsi être invité à cheminer vers des pistes à explorer pour mieux réguler son stress en fonction de ses propres réalités et compréhensions du moment.
S’inscrivant dans la médecine intégrative (médecine qui considère le corps et l’esprit comme une unité ) le programme MBSR permet de trouver et développer ses propres ressources, créant ainsi les conditions favorables à une meilleure santé ainsi qu’à la gestion de la maladie chronique.
On peut considérer la maladie comme un corps mal accordé, une corde de violon mal accordée, l’unité corps-esprit ne parvenant pas à accorder son instrument. Dans ce cas, la méditation permettrait cet accord. John KABATT ZINN utilise également cette métaphore de l’instrument de musique : « peut-être faut-il accorder notre vision comme nous accordons un instrument, pour augmenter sa sensibilité, sa clarté, sa portée ? Il s’agit alors de voir les choses telles qu’elles sont réellement, et non telles que nous voudrions qu’elles soient, ou ce que nous sommes conditionnés socialement à voir ou ressentir ».
La méditation permet un recul, elle permet de se situer dans une zone neutre du cerveau et de changer le regard que nous avons sur la maladie un décalage, un pas de côté par rapport à la réalité. C’est ce qu’on appelle la « capacité métacognitive » grâce à laquelle le sujet peut observer ses propres processus mentaux, développer une attention et un discernement face à ses cognitions et ainsi s’autoréguler.
Les pathologies chroniques ont tendance à enfermer les patients dans une certaine façon de voir le monde et leur rapport à eux-mêmes. La pratique de la pleine conscience aide le patient à se déconditionner et à percevoir la réalité du monde sous des angles et des couleurs différentes.
La pleine conscience permet de mettre un pas à côté de la dictature toute puissante du mental entraînant vers des chemins déjà balisés de pensées ou de comportements -qui ne sont plus adaptés au changement que le patient est en train de vivre dans son corps ou dans sa vie- et va lui permettre de se positionner en tant qu’explorateur et découvreur d’espaces de vie originaux.
CONCLUSION
Les médecines alternatives et complémentaires (M.A.C.) ont une efficacité certaine dans de nombreuses pathologies. Elles sont dénuées d’effet secondaire, sont moins chères. Elles sont utilisées couramment aux Etats-Unis en particulier. Elles commencent à se développer en France, en particulier dans de nombreux centres anti cancéreux.
Dans le domaine de la dépression, l’action de l’acupuncture associée à la pratique de QI GONG et à la pratique de la méditation est d’une efficacité remarquable, constatation quotidienne de nombreux patients.
C’est au médecin et au médecin psychiatre de juger de l’indication ou pas de traitements antidépresseurs, beaucoup trop largement prescrits, certes, mais dont l’utilité n’est pas à démontrer. La dépression est une maladie grave et le risque suicidaire est toujours à prendre en considération. Seuls les médecins parfaitement formés à la médecine occidentale et ayant des connaissances dans les médecines alternatives et complémentaires peuvent décider de l’emploi exclusif de ces médecines alternatives.
NOTES
1 Les travaux de l’anthropologue canadien FLEISING « Anthropologie médicale, ancrages locaux, défis globaux » décrivent les rapports d’échange entre les compagnies biotechnologiques, les marchés financiers et l’industrie pharmaceutique. La maladie est perçue comme une possibilité de marché et la médecine provient d’un cycle continu d’écoulement d’affaire. (p 34) L’objectif des compagnies biotechnologiques est clair : elles veulent fabriquer des produits commercialisables innovateurs et compétitifs. Tout ce qui ressemble à une découverte est transformé en évènement médiatique. La biomédecine est coincée entre les discours triomphalistes des grands laboratoires et de quelques chercheurs vedettes et une société civile avide d’entendre la science répondre à tous les défis médicaux.
2 Le LING SHU « pivot spirituel » est le plus ancien ouvrage médical chinois parvenu jusqu’à nous, publié en 720 avant J. C. et qui fait le bilan de connaissances médicales plus anciennes transmises par la tradition orale.
3 Revue Française d’Acupuncture, N° 144.
4 « Acupuncture en neurologie et psychiatrie, état des revues systématiques et méta analyses« , Acupuncture et moxibustion, 2008, 7.